Page:Renan - Marc-Aurèle et la Fin du monde antique.djvu/483

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Portant la vie sans plaisir comme sans révolte, résigné au sort que la nature lui avait dévolu, il faisait son devoir de tous les jours, en ayant sans cesse à l’esprit la pensée de la mort. Sa sagesse était absolue, c’est-à-dire que son ennui était sans bornes. La guerre, la cour, le théâtre le fatiguent également, et pourtant il fait bien tout ce qu’il fait ; car il le fait par devoir. Au point où il est arrivé, le plaisir et la douleur, l’amour des hommes et leur haine sont une seule et même chose. La gloire est la dernière des illusions ; combien pourtant elle est vaine ! Le souvenir du plus grand homme disparaît si vite ! Les plus brillantes cours comme celle d’Adrien, ces grandes parades à la façon d’Alexandre, que sont-elles, si ce n’est un décor qui passe et qu’on jette au rebut. Les acteurs changent ; l’inanité du jeu est la même[1].

Quand des chrétiens exaltés arriveront à comprendre qu’on ne peut plus espérer voir se réaliser le royaume de Dieu si ce n’est en fuyant au désert, les Ammonius, les Nil et les Pacôme proclameront le renoncement et le dégoût des choses comme la loi suprême de la vie. Ces maîtres de la Thébaïde n’égaleront pas en parfait détachement leur confrère couronné. Il s’était fait des procédés d’ascète, des recettes

  1. Pensées, X, 27.