Page:Renan - Marc-Aurèle et la Fin du monde antique.djvu/498

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le père d’un Néron, d’un Caligula, d’un Domitien[1].


Ne maudis pas la mort ; mais fais-lui bon accueil, puisqu’elle est du nombre de ces phénomènes que veut la nature. La dissolution de notre être est un fait aussi naturel que la jeunesse, la vieillesse, la croissance, la pleine maturité… Que si tu as besoin d’une réflexion toute spéciale, qui te rende bienveillant envers la mort, tu n’as qu’à considérer ce dont elle va te séparer et le milieu moral auquel ton âme ne sera plus mêlée. Ce n’est pas qu’il faille te brouiller avec eux[2] ; loin de là, tu dois les aimer, les supporter avec douceur. Seulement il faut bien te dire que ce ne sont pas des gens partageant tes sentiments que tu vas quitter ; le seul motif qui pourrait nous attacher à la vie et nous y retenir, ce serait d’avoir le bonheur de nous trouver avec des hommes qui auraient les mêmes opinions que nous. Mais, à cette heure, tu vois quels déchirements dans ton intérieur, à ce point que tu t’écries : « Ô mort ! ne tarde plus à venir, de peur que je n’en arrive, moi aussi, à m’oublier[3]. »

— « C’était un honnête homme, c’était un sage », se dira-t-on ; ce qui n’empêchera pas tel autre de se dire en lui-même : « Nous voilà donc délivrés de ce pédagogue ; respirons ! Certes il n’était méchant pour personne d’entre nous ; mais je sentais qu’au fond il nous désapprouvait ! »… Qu’au lit de mort, cette réflexion te fasse quitter la vie plus aisément : « Je sors de cette vie,

  1. Capitolin, 28, dit qu’il allait jusqu’à désirer la mort de son fils. Cela est en contradiction avec les Pensées, l. c.
  2. Marc-Aurèle ne désigne que d’une manière vague ceux qu’il a en vue. Il paraît bien que Commode était du nombre.
  3. Pensées, IX, 3.