Page:Renan - Marc-Aurèle et la Fin du monde antique.djvu/501

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bonté, à l’absolue indulgence, à l’indifférence tempérée par la piété et le dédain. « Passer sa vie résigné au milieu des hommes menteurs et injustes[1] », voilà le programme du sage. Et il avait raison. La plus solide bonté est celle qui se fonde sur le parfait ennui, sur la vue claire de ce fait que tout en ce monde est frivole et sans fond réel. Dans cette ruine absolue de toute chose, que reste-t-il ? La méchanceté ? Oh ! cela n’en vaut pas la peine. La méchanceté suppose une certaine foi au sérieux de la vie, la foi du moins au plaisir, la foi à la vengeance, la foi à l’ambition. Néron croyait à l’art ; Commode croyait au cirque, et cela les rendait cruels. Mais le désabusé qui sait que tout objet de désir est frivole, pourquoi se donnerait-il la peine d’un sentiment désagréable ? La bonté du sceptique est la plus assurée, et le pieux empereur était plus que sceptique ; le mouvement de la vie dans cette âme était presque aussi doux que les petits bruits de l’atmosphère intime d’un cercueil. Il avait atteint le nirvana bouddhique, la paix du Christ. Comme Jésus, Çakya-Mouni, Socrate, François d’Assise, et trois ou quatre autres sages, il avait totalement vaincu la mort. Il pouvait sourire d’elle, car vraiment elle n’avait plus de sens pour lui.

  1. Pensées, VI, 47.