Page:Renan - Marc-Aurèle et la Fin du monde antique.djvu/508

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l’affaiblissement était sensible. Vingt ans de bonté avaient relâché l’administration et favorisé les abus. Une certaine réaction dans le sens des idées d’Avidius Cassius était nécessaire ; au lieu de cela, on eut un total effondrement. Horrible déception pour les gens de bien ! Tant de vertu, tant d’amour n’aboutissant qu’à mettre le monde entre les mains d’un équarisseur de bêtes, d’un gladiateur ! Après cette belle apparition d’un monde élyséen sur la terre, retomber dans l’enfer des Césars, qu’on croyait fermé pour toujours ! La foi dans le bien fut alors perdue. Après Caligula, après Néron, après Domitien, on avait pu espérer encore. Les expériences n’avaient pas été décisives. Maintenant, c’est après le plus grand effort de rationalisme gouvernemental, après quatre-vingt-quatre ans d’un régime excellent, après Nerva, Trajan, Adrien, Antonin, Marc-Aurèle, que le règne du mal recommence, pire que jamais. Adieu, vertu ; adieu, raison. Puisque Marc-Aurèle n’a pas pu sauver le monde, qui le sauvera ? Maintenant, vivent les fous ! vive l’absurde ! vivent le Syrien et ses dieux équivoques ! Les médecins sérieux n’ont rien pu faire. Le malade est plus mal que jamais. Faites venir les empiriques ; ils savent souvent mieux que les praticiens honorables ce qu’il faut au peuple.

Ce qu’il y a de triste, en effet, c’est que le jour