Page:Renan - Marc-Aurèle et la Fin du monde antique.djvu/608

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se confinent dans l’abstention, tout le corps souffre.

L’Église, au iiie siècle, en accaparant la vie, épuise la société civile, la saigne, y fait le vide. Les petites sociétés tuèrent la grande société. La vie antique, vie tout extérieure et virile, vie de gloire, d’héroïsme, de civisme, vie de forum, de théâtre, de gymnase, est vaincue par la vie juive, vie antimilitaire, amie de l’ombre, vie de gens pâles, claquemurés. La politique ne suppose pas les hommes trop détachés de la terre. Quand l’homme se décide à n’aspirer qu’au ciel, il n’a plus de pays ici-bas. On ne fait pas une nation avec des moines ou des yoguis ; la haine et le mépris du monde ne préparent pas à la lutte de la vie. L’Inde, qui, de tous les pays connus, a le plus versé dans l’ascétisme, n’est, depuis un temps immémorial, qu’une terre ouverte à tous les conquérants. Il en fut de même à quelques égards de l’Égypte. La conséquence inévitable de l’ascétisme est de faire considérer tout ce qui n’est pas religieux comme frivole et inférieur. Le souverain, le guerrier, comparés au prêtre[1], ne sont plus que des rustres, des brutaux ; l’ordre civil est tenu pour une tyrannie gênante. Le christianisme améliora les mœurs du monde ancien ; mais, au point de vue militaire et

  1. Constit. apost., II, 34.