Page:Renan - Marc-Aurèle et la Fin du monde antique.djvu/616

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traitait comme des ennemies[1]. Là est l’explication d’un des faits les plus singuliers de l’histoire, je veux dire de la disparition de la sculpture dans la première moitié du iiie siècle. Ce que le christianisme tua d’abord dans la civilisation antique, ce fut l’art. Il tua plus lentement la richesse ; mais, à cet égard, son action n’a pas été moins décisive. Le christianisme fut, avant tout, une immense révolution économique. Les premiers devinrent les derniers, et les derniers devinrent les premiers. Ce fut vraiment la réalisation du royaume de Dieu, selon les juifs. Un jour, Rab Joseph, fils de Rab Josué ben Lévi, étant tombé en léthargie, son père lui demanda, quand il fut revenu à lui : « Qu’as-tu vu dans le ciel ? — J’ai vu, répondit Joseph, le monde renversé : les plus puissants étaient au dernier rang ; les plus humbles au premier. — C’est le monde normal que tu as vu, mon fils[2]. »

L’empire romain, en rabaissant la noblesse et en réduisant presque à rien le privilège du sang, augmenta, au contraire, les avantages de la fortune. Loin d’établir l’égalité effective entre les citoyens, l’empire romain, ouvrant à deux battants les portes de la cité romaine, créa une différence profonde, celle des honestiores (les notables, les

  1. Tertullien, Contre Hermogène.
  2. Talm. de Bab., Pesahim, 50 a.