Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/122

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Ce mot de village demande explication. L’analogue de ce que nous appellerions en France un gros bourg, un chef-lieu de canton, est en Sicile une ville de 10 000, 15 000, 18 000 âmes. L’absence de hameaux et de population éparse dans les campagnes explique cette singularité. Il n’y a pas de pays où il y ait autant de villes populeuses, et ces villes sont situées à deux ou trois lieues l’une de l’autre. Il est vrai qu’à certains égards ces grandes villes n’étaient dernièrement encore que des villages. Bagheria, à la porte de Palerme, a 15 000 habitants, et n’avait pas une école sous l’ancien gouvernement.

Nous devions coucher à Alkamo, ancien chef-lieu arabe, où les mœurs sont encore très-bien conservées. Le syndic, en véritable cheik, avait fait demander qu’on lui spécifiât bien les qualités des personnes qui devaient venir, pour que chacun fût traité selon son rang. Il était trois heures du matin quand nous arrivâmes. Ces campagnes sont très-fiévreuses. Plusieurs s’endormaient de fatigue au fond des voitures ; mais les Siciliens ne le souffraient pas, prétendant que l’on courait ainsi un grand danger de prendre la fièvre. Les murs et les tours d’Alkamo illuminés faisaient à deux et trois lieues dans la campagne un effet saisissant. La réception fut particulièrement chaleureuse. À quatre heures, nous délibérâmes. Se coucher pour se lever à six heures était peu sage. On remonta donc en voiture pour atteindre le plus tôt possible les ruines de Ségeste. Nous vîmes l’aube se lever sur les bords du Crimissus, témoins de cette brillante campagne de Timoléon contre les Carthaginois où naquit la stratégie, bientôt poussée plus loin encore par les capitaines de l’école d’Alexandre. Vers sept heures, un temple