Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/128

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font sous ce rapport l’impression la plus triste. Cette immense destruction, accomplie savamment et avec un dessein arrêté, fait sûrement maudire Carthage, qui amena sur ce monde délicat les sauvages mercenaires de l’Afrique ; mais elle fait surtout détester ces divisions de ville à ville, ces guerres fratricides où s’est abîmée la civilisation grecque. La destruction de Sélinonte fut l’œuvre de Ségeste, et Ségeste, un an après, tombait à son tour. On comprend qu’après cela la paix romaine ait semblé un bienfait.

Ces ruines de Sélinonte sont dignes de la Grèce par la grandeur et la perfection du travail. La commission archéologique fut unanime pour demander au ministre que désormais le grand effort des fouilles siciliennes portât sur ce point. Déjà les recherches de M. Cavallari ont eu les plus heureux résultats, en particulier autour de l’acropole. Là ont été trouvées ces métopes célèbres qui font maintenant l’ornement du musée de Palerme, monuments d’un style archaïque, encore asiatique, et qui expliquent peut-être la transition tant cherchée entre l’art de l’Orient et celui de la Grèce. Les autres métopes de Sélinonte nous montrent pas à pas les progrès de la sculpture. Comme au moyen âge, ces progrès n’allèrent pas tout à fait de pair avec ceux de l’architecture. Celle-ci avait arrêté ses formes quand la sculpture hésitait encore. L’école dorique de Sicile se laissa devancer par l’école attique. Plusieurs de ces œuvres un peu gauches sont contemporaines du Parthénon. Un trait bien remarquable, c’est que les parties nues des figures de femmes y sont exécutées en marbre blanc, exactement comme, sur les vases peints, les mains, les pieds, les têtes des personnages féminins sont en blanc pâle. La polychromie, re-