Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/150

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De ces trois grandes ruines, échelonnées du nord au sud, à des distances de six ou huit lieues, laquelle représente réellement l’ancienne Ninive ? Appartiennent-elles à une même ville, ou à des villes distinctes, ou à des banlieues groupées autour d’un grand centre de population ? Même en admettant les récits les plus évidemment exagérés de l’antiquité sur l’étendue de Ninive, il est difficile d’admettre que trois points aussi distants aient jamais été renfermés dans une même enceinte. Les quatre cent quatre-vingts stades (vingt lieues) de Ctesias seraient trop peu pour la circonférence d’un aussi vaste diamètre, et, même en prenant dans le sens généralement reçu le passage si connu du livre de Jonas[1], trois jours de marche auraient à peine suffi pour faire le tour d’une ville aussi démesurée. Xénophon[2], qui décrit avec une admirable précision l’aspect des deux localités nommées maintenant Nimroud et

  1. Et cette interprétation, il faut le dire, n’est rien moins que prouvée. Voici le passage en question traduit littéralement de l’hébreu : « Surrexit Jonas et incessit versus Niniven secundum verbum Jovæ, et Ninive erat urbs magna valde itinere trium dierum. » (ch. iii, v. 3.) On traduit d’ordinaire : « Or Ninive était une ville extrêmement grande, de trois journées de chemin. » Les meilleurs exégètes s’accordent à couper autrement la phrase, au moyen d’une parenthèse très-conforme au génie de la langue hébraïque : « Jonas se leva et marcha vers Ninive, selon l’ordre de Jéhova, (or, Ninive était une ville extrêmement grande) l’espace de trois journées de marche. » On a supposé également que les « cent vingt mille hommes qui ne savent pas distinguer leur main droite de leur main gauche » (ch. iv, v. 11) désignent des enfants, ce qui porterait à un chiffre fabuleux la population totale. Rien de moins vraisemblable : cette expression désigne probablement la masse du peuple, qui, dans la pensée de l’auteur, n’était pas responsable des crimes de Ninive. En outre, ce n’est là sans doute qu’un nombre rond, par lequel on a voulu exprimer une grande multitude et non un chiffre bien déterminé.
  2. Anabase, l. III, ch. 4.