Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/187

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commérages, souvent des calomnies. Pour moi, j’ai loué M. Poirson, faisant l’histoire la plus étendue de Henri IV, d’avoir consacré une ou deux pages à ses maîtresses. M. Beulé croit avoir frappé un grand coup en appelant Auguste un « débauché ». Mais a-t-on jugé Henri IV et Frédéric le Grand quand on a dit que leur conduite privée fut loin d’être irréprochable ? Parfois, dans les siècles passés (pas toujours, je me hâte de le dire), la liberté de mœurs chez ceux qui gouvernent a été une garantie contre l’esprit étroit. L’espèce humaine est chose si chétive, qu’il n’est pas impossible que la civilisation ait dû quelque chose à certaines faiblesses des souverains. La révolte contre la domination tyrannique de l’Église au moyen âge n’eût peut-être pas réussi sans la gêne qu’éprouvaient les rois de ce temps à se constituer ce qu’on appelle une cour. Pour avoir quelques libertés, les souverains furent obligés d’en accorder d’autres à leurs sujets. Des saints sur le trône ! bien des gens fort honnêtes en auraient peur ; car les saints sont toujours des esprits absolus. Avec saint Louis, avec Philippe II, tout le monde n’aurait pas la vie bien sauve.

Auguste ne fut ni un homme de génie ni un homme de vertu. Il trouva des circonstances admirablement favorables et en profita avec beaucoup de sens. Une des parties les meilleures du livre de M. Beulé est celle où l’auteur montre ce que le fondateur de l’empire dut à son entourage, en particulier à Agrippa, à Mécène, à Livie. Le rôle de Livie surtout a été compris par le savant professeur avec infiniment de tact et d’esprit. Comme Louis XIV, Auguste préside à de grandes choses sans élévation personnelle, mais avec un instinct d’une surprenante