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dans l’histoire, l’un et l’autre mieux informés que Marc-Aurèle. Ses bustes ont toujours l’air de vouloir entrer en conversation avec le premier venu, et il y a sous le péristyle du casin Albani une statue assise de la charmante impératrice qui, la tête un peu penchée, semble écouter une déclaration. » Cherchons de plus solides indices. C’est Marc-Aurèle lui-même qui va nous les fournir.

Le contraste entre la Faustine des historiens et la Faustine qui résulte des écrits de Marc-Aurèle est un des problèmes historiques les plus singuliers. Une chose incontestable, c’est que Marc-Aurèle eut toujours pour sa femme l’affection la plus tendre, et qu’il s’en crut toujours aimé. Il n’est pas de tableau plus touchant que celui que nous offre à cet égard la correspondance de Fronton et de son auguste élève. Oui, le bonheur habita vraiment cette villa de Lorium, cette belle retraite de Lanuvium, où Marc-Aurèle passa ses meilleures années avec Faustine et les nombreux enfants[1] qu’elle lui donna. « J’ai vu ta petite couvée[2], lui écrit Fronton, et rien ne m’a jamais fait tant de plaisir. Ils te ressemblent à un tel degré, qu’on ne vit jamais au monde pareille ressemblance. Je te voyais doublé, pour ainsi dire ; à droite, à gauche, c’était toi que je croyais voir. Ils ont, grâce aux dieux, la couleur de la santé, et une bonne façon de crier. L’un d’eux tenait un morceau de pain bien blanc, comme un enfant royal ; l’autre, un morceau de pain de ménage, en vrai fils de philosophe. Leur petite voix m’a

  1. Voir Tillemont, Hist. des Emp., II, p. 340, 341 ; Borghesi, Œuvres comp., III, p. 237 et suiv. ; V, p. 432 et suiv.
  2. Les deux frères jumeaux, Commode et Annius Vérus.