Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/205

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paru si douce, si gentille, que j’ai cru reconnaître dans leur babil le son clair et charmant de ta parole[1]. » Dira-t-on que la dissimulation, l’intention de prévenir de mauvais bruits a pu se glisser dans cette correspondance, dont le défaut est quelquefois de manquer de naturel ? Soutiendra-t-on qu’un rhéteur, habitué à présenter les choses telles qu’elles doivent être pour le besoin de la phrase, a pu faire violence aux faits pour les ramener à ce qu’exigeaient les nécessités d’une jolie lettre ? Mais voici un texte où l’on ne peut admettre aucune arrière-pensée, un texte d’une sincérité absolue et qui dans la question présente me paraît d’un poids décisif.

Il est tiré de ce livre admirable, le plus vrai, le plus simple, le plus honnête des livres, que le bon empereur nous a laissé comme un miroir fidèle de sa vie intérieure. Dans une de ses fastidieuses campagnes contre les Quades et les Marcomans, une nuit qu’il était campé sur les bords du Gran, au milieu des plaines monotones de la Hongrie, Marc-Aurèle se mit à revenir sur sa vie passée, à dresser le compte, en quelque sorte, de ce qu’il devait à chacun des êtres bons qui l’avaient entouré. Toutes les images de sa pieuse jeunesse remontent alors en son souvenir. Il voit défiler, comme en une vision sainte, son aïeul Vérus, dont on admirait le caractère plein de mansuétude ; son père, dont on prisait tant la modestie ; sa mère, qui lui apprit à s’abstenir, non-seulement de faire le mal, mais d’en concevoir la pensée ; Diogénète, qui lui inspira le

  1. M. Corn. Frontonis et M. Aur. Imp. Epistulæ, p. 151, 152, édit. Mai, Rome, 1823. Comparez ibid., p. 121, 125, 133, 135, 136, 141, 142, 153. 159, etc., surtout p. 136, où il revient sur la ressemblance des enfants avec leur père.