Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/209

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vivre dans le convenu, un parti pris de considérer les choses par le bon côté, de louer en chacun ce qu’il avait de louable et de faire abstraction de ses défauts[1] ; mais ceux-mêmes de ses historiens qui ont le plus insisté sur ce trait de son caractère ajoutent sur-le-champ que jamais il n’alla jusqu’à la dissimulation[2]. Il fut très-franc en ce qui concerne Lucius Vérus. Car, s’il eut pour cet indigne collègue, durant sa vie, des égards on peut le dire exagérés[3], il ne dissimula pas après sa mort les embarras qu’il lui avait causés[4]. Dans sa belle prière aux Dieux sur les bords du Gran, lui si reconnaissant, si fidèle à la religion des souvenirs, il ne parle pas d’Adrien, auquel pourtant il devait tout, sans doute parce que le caractère privé de cet empereur lui avait laissé de mauvaises impressions. Quoiqu’il remercie les dieux de lui avoir donné « des enfants qui n’ont ni l’esprit trop lourd ni le corps contrefait », on sent à plusieurs endroits de ses Pensées les inquiétudes qu’il avait à propos de Commode[5]. Dion prétend que Marc-Aurèle, à son lit de mort, fut persuadé qu’il mourait par la scélératesse de son fils, et que néanmoins il le recommanda aux soldats[6]. Quand ce crime de Commode serait prouvé (et il ne l’est nullement)[7], on ne saurait

  1. Dion Cassius, LXXI, 34, et les Pensées, à chaque instant.
  2. Οὐ προσποιητῶς… οὐδὲν προσποιητὸν εἷχε. (Dion Cassius, l. c.)
  3. Capitolin, Ant. Phil., 15.
  4. Capitolin, Ant. Phil., 20. C’est à tort que l’on a cru voir Vérus dans le « frère » dont il est parlé, Pensées, I, 17. C’est probablement là « son frère Sévérus », dont il parle. Pensées, I, 14, et celui-ci n’est autre que Claudius Sévérus.
  5. Voir, par exemple, livre XI, § 17.
  6. LXXI, 33, 34.
  7. Cf. Capitolin, Ant. Phil., 28.