Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/219

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de sympathie réciproque se laisse facilement deviner. Héritière des sentiments altiers qu’une incomparable noblesse de sang donnait aux femmes de l’ancienne aristocratie romaine, Faustine dut être plusieurs fois blessante pour les philosophes, à la mine austère, à l’habit déjà presque monacal, qui entouraient son mari. Elle leur fit sentir ces dédains injustes que les femmes ne savent pas maîtriser quand le sentiment qu’elles ont de l’élégance et de la distinction est contrarié. Marc-Aurèle fut le plus bienveillant et, en un sens, le plus démocrate des souverains ; il ne regardait qu’au mérite, sans égard pour la naissance, ni même pour l’éducation et les manières. Les excès et la fierté insupportable de la vieille aristocratie romaine lui avaient inspiré une assez forte antipathie contre les riches et les patriciens[1]. Comme il ne trouvait pas, d’ailleurs, dans l’aristocratie les sujets propres à servir ses idées de réforme, il appelait aux fonctions des hommes sans autre noblesse que leur honnêteté, sans autre charme qu’une vertu solennelle, parfois un peu ennuyeuse. Le grand reproche que lui adressait Avidius Cassius était de confier les hauts emplois à des gens sans fortune et sans antécédents connus[2]. Bassæus, qu’il choisit pour son préfet du prétoire, était, dit-on, un véritable rustre, mal élevé, peu intelligent. Il commit une faute bien plus grande encore à propos de Pompéien. C’était un homme de grand mérite, mais âgé, sans naissance, sans nul agrément. Marc-Aurèle eut la fâcheuse idée de le marier à sa fille Lucille, veuve de Lucius Vérus. Il voulait que les femmes de sa maison se pliassent

  1. Pensées, I, 3, 11.
  2. Vulcat. Gall., Vie d’Avidius, 14.