Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/230

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gauloise. La Germanie, d’un autre côté, introduisit de force une foule d’expressions relatives au nouvel état social qu’elle fondait. À l’époque carlovingienne surtout, l’allemand fit dans la Gaule une véritable invasion, bien plus grave et plus féconde en résultats que celle de l’époque mérovingienne. Un moment le théotisque fut la langue de la classe politique. Le roman, il faut l’avouer, courut là un danger réel, et il n’a tenu qu’à peu de chose, au IXe siècle, que la France n’ait parlé allemand. Mais l’élément latin l’emporta complètement : l’allemand rentra à tout jamais dans ses frontières d’Alsace et de Lorraine, et, depuis ce temps, la langue romane, sans aucun accident extérieur (l’invasion normande ne sema quelques mots scandinaves que dans la Normandie), suivit la marche naturelle de son développement, ou, si l’on veut, de son progrès.

Certes, jamais ce mot n’a besoin de plus d’explication que quand on veut l’appliquer au langage. Nulle part autant que dans l’histoire des langues le progrès n’est douteux et compensé de décadence. Dans les langues, en effet, la perfection est à l’origine. Comparés au sanscrit, le grec et le latin sont des langues pauvres et rudes : comparées au grec et au latin, les langues que nous parlons (abstraction faite, bien entendu, de la noblesse que le génie a su leur donner), sont des patois barbares, n’ayant en eux-mêmes ni leurs racines ni la raison de leurs procédés. Pour les trouver nobles et belles, nous sommes obligés de fermer les yeux sur leur origine. Sorties du patois populaire, réformées plus tard par des grammairiens et des rhéteurs, elles portent toujours l’empreinte de cette double paternité. Prenez la