Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/232

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représente seulement ce que deviendrait notre idiome écrit et parlé le jour où il serait reçu qu’on peut être un galant homme sans savoir le latin, le jour où, le sentiment de l’étymologie venant à se perdre par l’affaiblissement des études classiques, on se servirait de la langue à peu près comme les maçons se servent des procédés de la géométrie sans les comprendre. Or les pessimistes croient déjà voir de graves symptômes de cette révolution future. Lamartine nous donne des études du style des cuisinières ; George Sand nous fait trouver des beautés infinies dans je ne sais quel patois. Le patois est à la mode, on se l’arrache ; l’Académie le couronne ! Encore si c’était un reste de quelqu’un de ces idiomes ennoblis par le génie et qui ont mérité un moment le nom de langue, si c’était le provençal des troubadours du XIIe siècle, un souvenir de la langue de Bernard de Ventadour ou de Raimbaud de Vaquères que l’on cherchât à faire revivre, cet écho du passé pourrait n’être pas sans charme. Mais le jargon des rues d’Agen, un patois sans règles, sans flexions, sans titres de noblesse, du mauvais français en un mot, dont tout le mérite consiste à dire barquo pour barque et foulo pour foule, cela ne devrait pas s’écrire et c’est un signe alarmant qu’en dehors d’Agen on ait consenti à l’admirer.

Ainsi une langue d’extraction plébéienne, martelée ensuite durant des siècles, par des gosiers barbares, à demi dévorée par des mangeurs de syllabes, voilà notre langue ; ce qui n’empêche pas que longtemps encore, quand l’étranger voudra dire de fines et gracieuses choses, il se croira obligé de les dire en français. L’hu-