Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/237

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M. de Chateaubriand eut révélé au monde, étonné et d’abord scandalisé d’un tel paradoxe, qu’il y a une esthétique chrétienne, il fut permis de trouver qu’une église gothique résout à sa manière le problème de l’architecture, et que les sculptures de Saint-Gilles près d’Arles, de Chartres, d’Amiens, de Reims, ne peuvent être oubliées dans une histoire de l’art. Les hommes les plus étrangers à l’esprit de système se déclarèrent touchés. « Plus je vois les monuments gothiques, disait un homme qui avait le droit d’être juge en statuaire[1], plus j’éprouve de bonheur à lire ces belles pages religieuses si pieusement sculptées sur les murs séculaires des églises. Elles étaient les archives du peuple ignorant. Il fallait donc que cette écriture devînt si lisible que chacun pût la comprendre. Les saints sculptés par les gothiques ont une expression sereine et calme, pleine de confiance et de foi. Ce soir, au moment où j’écris, le soleil couchant dore encore la façade de la cathédrale d’Amiens ; le visage calme des saints de pierre semble rayonner. »

On alla plus loin, et, pour plusieurs, ce mouvement, que jusque-là tout le monde avait appelé renaissance, devint un sujet de blâme et de regrets. Aux malédictions de Vasari contre l’art gothique succédèrent des malédictions contre cet art païen qui, selon les zélateurs du nouveau système, avait tué l’art chrétien. Une école fort sérieuse, puisqu’elle a soutenu dans leurs travaux des hommes comme Lassus, Viollet-le-Duc, inspiré un poëte comme M. de Montalembert, entreprit systématiquement la réhabilitation de l’art du moyen âge, et essaya même

  1. David d’Angers.