Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/244

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vais, les petites églises, plutôt gothiques, d’anciens prieurés qu’on trouve dans le Valois. Partout on sent l’effort du style roman pour produire quelque chose de plus léger, ou la simplicité naïve du gothique naissant, encore pure de tout raffinement subtil. L’ogive, dans les édifices décidément gothiques, est à peine sensible, tant l’angle des deux arcs est ouvert. La hauteur est très-modérée. Le style a encore une pureté et une sévérité qu’il ne gardera pas dans les pays où il sera transporté. Quand des textes formels ne nous apprendraient pas que les cathédrales de Noyon, de Senlis, de Laon, de Paris et de Chartres furent les premières églises gothiques, le style seul de ces édifices l’indiquerait. Les petites églises de Saint-Leu d’Esserans, de Longpont, d’Agnetz, sont également des chefs-d’œuvre de proportion, de justesse, de hardiesse mesurée, que l’architecture gothique n’a pu produire qu’à son début. Ajoutons que tous les architectes célèbres de l’école gothique, Robert de Luzarches, Pierre de Montereau, Eudes de Montreuil, Raoul de Coucy, Thomas de Cormont, Jean de Chelles, Pierre de Corbie, Villard de Honnecourt, sont de l’Île-de-France, de la Picardie ou des pays voisins, et qu’aucune région ne justifie aussi bien que celle-ci l’apparition du style nouveau. Les matériaux y sont abondants et d’excellente qualité. La pierre, facile à travailler, semble inviter aux essais hardis, aux tâtonnements périlleux, et explique cette fièvre d’innovation qui porta les architectes gothiques à surenchérir sans fin les uns sur les autres en fait de témérité.

Le style gothique nous apparaît ainsi comme un art purement français. Il naît avec la France, au centre même de la nationalité française, dans ce pays florissant et