Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/250

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

poussent beaucoup ; le plein cintre fut conservé pour les petits, qui poussent peu ou point. Une vaste compensation d’ailleurs fut cherchée dans les arcs-boutants et les contre-forts, sur lesquels toutes les poussées se réunissent. Les églises romanes en avaient, mais dissimulés et peu considérables. Ici, ils devinrent la maîtresse partie et permirent des légèretés inouïes. Les vides s’augmentent dans une effrayante proportion. Les reins puissants qui soutiennent toutes ces masses branlantes sont au dehors, et l’on arriva à réaliser cette idée singulière d’un édifice soutenu par des échafaudages, et, s’il est permis de le dire, d’un animal ayant sa charpente osseuse autour de lui.

Un souffle puissant semble dès lors pénétrer la basilique romane et en dilater toutes les parties. Devenue en quelque sorte aérienne, l’église nage dans la lumière, l’éteint, la colore à son gré. Les murs arrivent au dernier degré de maigreur. Les colonnes amincies et divisées en colonnettes ont l’air de n’être là que pour l’ornement. L’église semble l’épanouissement d’un faisceau de roseaux. Le style roman, qui vise surtout à la solidité, n’affecte pas les hauteurs extraordinaires ; il offre plus de pleins que de vides ; ses fenêtres sont petites, ses colonnes massives. Le gothique pousse le goût de la légèreté jusqu’à la folie. Les fenêtres étroites deviennent des baies énormes, qui font de l’édifice une cage à jour. Les galeries rudimentaires du style roman deviennent des églises superposées. Les lignes verticales se substituent aux lignes horizontales, les plans en saillie et en retrait aux surfaces unies. L’artiste, surtout avide de faire naître un sentiment d’étonnement, ne recule pas devant des moyens