Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/258

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se couronne de triangles aigus et de tabernacles. Les lignes horizontales, qui dans le premier gothique ont encore de l’ampleur, disparaissent tout à fait. L’unique souci est de monter toujours et de revêtir l’édifice sacré d’une éblouissante parure qui le fait ressembler à une fiancée. Hélas ! pendant ce temps, le mal croissait à l’intérieur, et la ruine de ces beaux rêves éclos dans un moment d’enthousiasme se préparait lentement.

Le mal du style gothique en effet, c’est que, né de l’enthousiasme, il ne pouvait vivre que d’enthousiasme. L’église du xiie et du xiiie siècle avait été à la lettre élevée par amour. Qu’on lise les récits charmants relatifs à la construction de la cathédrale de Chartres et de la basilique de Saint-Denis. Au xive siècle, il s’y mêle l’idée de corvée, d’émeute, de châtiment. On élevait des églises par pénitence ; on ne les entretenait qu’à force d’impositions et par des mesures administratives. La foi qui avait créé ces merveilles n’était pas diminuée : à quelques égards, elle trouvait dans les esprits moins de doutes et d’objections, car le xive siècle pense bien moins librement que le xiiie ; mais elle avait perdu sa spontanéité naïve, c’était un étroit formalisme, une routine pesante et grossière. L’architecture gothique était malade du même mal que la philosophie et la poésie : la subtilité. L’art n’était plus qu’un prodigieux tour de force, après lequel il n’y avait plus que l’impuissance. L’antiquité put se reposer durant des siècles dans le style d’architecture que la Grèce avait créé ; les ordres grecs sont devenus une sorte de loi éternelle, parce que le style grec est la raison même, la logique appliquée à l’art de bâtir. Ici, au contraire, tout avenir était impossible, tant on avait poussé