Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/261

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de proportion et de raison. Ce n’est pas l’architecture logique, elle sort des conditions humaines. Elle naquit d’un effort d’abstraction, d’un travail de raisonnement trop prolongé sur des coupes. Ivres de leurs épures, les architectes allaient, affaiblissant toujours les masses ; leurs plans sur parchemin les aveuglaient et leur faisaient oublier les exigences de la réalité. C’est ce qui fait que le dessin d’une église gothique est souvent plus beau que l’église elle-même, car les artifices qui sont nécessaires pour accommoder le plan aux conditions de la matière n’existent pas dans le dessin.

Paradoxe architectural d’un éclat sans pareil, le gothique fut une exagération d’un moment, non un système fécond, un tour de force, un défi, non un style durable. Aussi n’a-t-il eu de continuation que grâce au goût qui porte notre siècle à copier tour à tour les différents types du passé. Arrêtée brusquement par la renaissance, cette architecture ne survécut au coup qui la frappait que par un compromis singulier, je veux parler du gothique orné de détails grecs que l’on voit à Saint-Étienne-du-Mont, à Saint-Eustache ; puis elle disparaît sans retour. On a reproché aux artistes du xvie siècle de ne pas l’avoir développée ; rien de plus injuste ; c’était un style épuisé, qu’il était impossible de faire revivre. Les imitations du xixe siècle ne l’ont que trop prouvé. Les efforts pour donner de la raison à un paradoxe, pour rendre sensé un moment d’ivresse, ont prouvé par leur gaucherie que l’architecture du xiie et du xiiie siècle doit être classée parmi les œuvres originales qu’il est glorieux d’avoir produites et sage de ne pas imiter.