Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/264

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par état que par le sentiment d’une cause nationale, le temps qui s’écoula de la journée de Crécy au règne réparateur de Charles V ne fut nullement une époque néfaste. Froissart, écho des sentiments de la chevalerie, présente les années dont il fait l’histoire bien plus comme des années brillantes, riches en faits d’armes et en aventures, que comme des années de désolation. Il peut paraître étrange de le dire : au milieu de ces horreurs, le siècle était gai ; ni la littérature ni l’art ne portent l’empreinte d’un profond abattement. Le roi Jean, dans sa prison, au milieu de ses peintres et de ses musiciens, oubliait son royaume avec une facilité qui nous étonne[1]. L’année 1400, qui, d’après les idées répandues, serait le cœur même d’une des périodes les plus calamiteuses de notre histoire, fut pendant plus de cinquante ans le point brillant vers lequel se tournèrent tous les souvenirs. Paris, à ce moment, eut un éclat sans pareil. Un texte récemment publié[2] exprime avec naïveté l’admiration des provinciaux pour ce centre de tous les raffinements. Ce n’est que dans la première moitié du xve siècle que les suites de la guerre et de l’abaissement politique se firent sentir d’une manière profonde sur l’état social.

L’absence de la vie municipale d’une part, et de l’autre au contraire le grand développement des institutions républicaines, ont bien plus d’importance pour expliquer le contraste que présente l’histoire de l’art en France

  1. Voyez les documents publiés par M. le duc d’Aumale dans le tome II des Miscellanies of the Philobiblon Society, 1855-1856.
  2. Guillebert de Metz, Description de la ville de Paris, publiée par M. Le Roux de Lincy (Paris, Aubry, 1855).