Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/268

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territoriales bien délimitées et n’ayant pas de capitales fixes, ne pouvaient créer des régions d’art, comme les Visconti, les della Scala, héritiers eux-mêmes de républiques longtemps indépendantes. La royauté ne suffit pas pour soutenir un grand mouvement d’art spontané. Il faut pour cela des républiques municipales ou de petites cours correspondant à des divisions naturelles. La maison de Bourgogne réalisa quelques-unes de ces conditions ; mais le mauvais goût flamand la maintint dans un luxe vulgaire, pesant, sans idéal. Louis d’Orléans est bien déjà un homme de la renaissance ; mais une certaine faiblesse d’esprit et de caractère, qui contribua plus qu’on ne pense au charme qui s’attachait à sa personne et qui s’attache à son souvenir, l’empêcha, d’exercer une influence bien sérieuse. Son goût est plus délicat que celui d’aucun autre prince avant lui ; mais c’est bien encore le goût du moyen âge : beaucoup d’esprit et de facilité, avec une absence presque complète de grand style et de noblesse. L’amour du beau touchait chez lui aux penchants les plus frivoles, et sa piété superficielle n’aboutissait ni à des créations fécondes, ni à la règle des mœurs. L’art n’est ni le fruit d’efforts honnêtes, ni le jeu frivole d’aimables étourdis : il y faut du génie. On ne doit pas oublier que cette Italie, qui produisait la renaissance des arts, présidait en même temps à la renaissance des lettres et de la pensée philosophique, à ce grand éveil, en un mot, qui replaçait l’humanité dans la voie des grandes choses dont l’ignorance et l’abaissement des esprits l’avaient écartée.

Dans la masse de la nation, le contraste n’était pas moins sensible. La bourgeoisie française du xive siècle