Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/283

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rêve. Ainsi se forma une série d’anecdotes, en partie vraies, en partie fausses ; certains types comme celui du khalife Haroun-al-Raschid, du prince-poëte Ibrahim, fils de Mehdi, donnèrent le ton pour le reste, et de tout cela résulta un tableau vrai dans sa couleur générale, quoique la fantaisie ait seule présidé à l’arrangement des détails.

La part de fiction se voit surtout dans le soin avec lequel Maçoudi varie ses portraits, quand il s’agit de présentations au khalife. On sent un art analogue à celui de La Bruyère, travaillant sur des mœurs réelles et les exprimant en caractères généraux. À côté du lettré courtisan, qui fait tout avec aisance par habitude du monde, il y a l’homme instruit, capable, par l’effet de sa bonne éducation, de se tenir parfaitement à la cour, sans cesser d’être grave et sans s’associer aux légèretés dont il est témoin, sachant qu’il dérange un peu les jeunes fous, et néanmoins restant jusqu’à ce qu’il ait épuisé les motifs qui l’ont amené, faisant tout avec bonne grâce, sans sortir de son sérieux, excellent causeur ; tel est le kadhi Ahmed Ibn-Abi-Douad : « On raconte que le khalife Motacem avait réuni quelques courtisans à Djauçak (palais près de Bagdad) pour boire le vin du matin, et leur avait ordonné de préparer chacun un plat de leur façon, lorsqu’il aperçut Sallamah, le page d’Ibn-Abi-Douad : « Voici, dit-il, le page d’Ibn-Abi-Douad qui vient s’enquérir de ce que nous faisons ; dans un moment son maître va se présenter ; il me parlera d’un tel de la famille de Hachem, d’un tel de Koreich, et d’un Ansar[1],

  1. Les Ansars étaient les descendants de ceux qui prirent la défense de Mahomet contre ses adversaires ; ils constituaient, la première noblesse musulmane.