Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/290

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rai. » Le personnage mystérieux se leva. Ali, fils de Salih, rentra peu après : « Prince des croyants, dit-il, j’ai dépêché quelques agents sur les traces de cet homme. Il s’est dirigé vers une mosquée où une quinzaine d’individus de même apparence que lui étaient réunis. « Eh bien, tu l’as vu ? » lui ont-ils demandé. « Oui, » a-t-il répondu. « Que t’a-t-il dit ? — Rien que de sages paroles ; il m’a dit qu’il ne retenait entre ses mains le gouvernement des musulmans que pour assurer la sécurité des routes, pour maintenir le pèlerinage et la guerre sainte, mais que, lorsque le peuple réunirait ses suffrages sur un chef librement élu, il remettrait le pouvoir à ce dernier et abdiquerait. — Voilà qui est bien », ont-ils dit. Et ils se sont séparés. — « Tu le vois, Abou-Mohammed, dit le khalife, en se tournant vers un de ses favoris, nous avons contenté ces gens-là en leur parlant simplement. »

L’accueil qu’il faisait aux faux prophètes était d’une ironie non moins piquante. Un imposteur de ce genre ayant été enchaîné et traduit devant lui : « Tu es donc prophète et chargé d’une mission ? dit Mamoun. — Pour le moment chargé de chaînes, lui répondit cet homme. — Malheureux, reprit le khalife, qui t’a séduit ? — Est-ce ainsi qu’on parle aux prophètes ? répliqua l’autre ; en vérité, si je n’étais garrotté, j’ordonnerais à Gabriel de vous anéantir tous. » Mamoun se mit à rire. « Nous te ferons délier, dit-il ; mais, après cela, tu ordonneras à Gabriel d’exécuter ta menace ; s’il t’obéit, nous croirons en toi et à la vérité de ta mission. » On le débarrassa de ses chaînes. Heureux de se sentir libre, l’imposteur s’écria en haussant la voix, comme s’il s’adressait au ciel :