Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/315

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les Arabes. Dans sa haine pour la noblesse qui finit par le détrôner, il dut se trouver heureux de dénigrer le représentant idéal du noble Castillan. Le Cid, en effet, toujours exalté dans les romances comme rebelle et ennemi de la royauté ; le Cid, si cher à la Castille parce qu’il triomphe du roi qui l’a exilé, le Cid était un ennemi pour Alphonse, et ce prince aura accepté avec empressement le récit de l’Arabe valencien, qui avait d’ailleurs, à ce qu’il parait, l’avantage d’être parfaitement conforme à la vérité.

Quoi qu’il en soit, il est assez curieux que le Cid ne soit devenu un personnage historique que grâce aux musulmans, et que la connaissance des auteurs arabes ait seule pu dissiper les doutes graves que soulevait le récit des chroniqueurs latins. Aucun héros n’a perdu plus que celui-ci à passer de la légende dans l’histoire. Il faut s’y résigner. Rodrigue Diaz le Campeador n’était de son vivant qu’un aventurier. Tout ce qu’il fut, il le dut aux ennemis de sa patrie, même le nom sous lequel il est resté dans l’histoire. Le représentant idéal de l’honneur espagnol était un condottiere, combattant tantôt pour le Christ, tantôt pour Mahomet. Le représentant idéal de l’amour n’a peut-être jamais aimé. Encore une idole qui tombe sous les coups de l’impitoyable critique ! Encore un triomphe pour ceux qui pensent que le peuple, dans le choix de ses héros, a fort peu de souci de la réalité, et que les grandes renommées recèlent presque toujours un contre-sens ou un caprice !