Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/320

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tion espagnole et portugaise au xve et au xvie siècle, aucun peuple n’avait contribué autant que les Arabes à élargir l’idée de l’univers et à donner à l’homme une idée exacte de la planète qu’il habite, première condition de tout véritable progrès. L’absence de nationalités distinctes dans le sein de l’islamisme dégageait les musulmans d’un des liens les plus forts qui retiennent l’individu attaché à un point de l’espace. Le musulman n’a d’autre patrie que l’islam. De Tanger jusqu’à la Malaisie, Ibn-Batoutah ne sort pas de son pays ; partout il trouve sa langue, ses mœurs ; nulle part il ne laisse derrière lui un regret. Le goût des merveilles, autre trait si marqué chez les musulmans ; l’extrême diffusion de la culture intellectuelle, qui faisait que, pour entendre les docteurs célèbres et visiter les directeurs en vogue, il fallait aller de Maroc au Caire, de la Mecque à Samarkand ; la sobriété de la race arabe et l’hospitalité si facile à pratiquer en un pays où elle ne risque pas d’être exploitée, étaient autant de causes qui faisaient entreprendre ou rendaient possibles de longues pérégrinations. La religion enfin les érigeait en précepte, par l’obligation imposée à tout musulman, quelque éloigné qu’il fût du centre de l’islamisme, de visiter une fois en sa vie le sanctuaire de la Caaba. Une des preuves que les apologistes musulmans font valoir en faveur de la divinité de l’islamisme est la consolation qu’on trouve dans le pèlerinage, les joies sensibles qu’on y ressent, et le vif désir qu’on éprouve de le faire de nouveau. Les fondations pieuses qui facilitaient aux pauvres l’accomplissement de ce devoir, les charités que répandaient autour d’eux les riches pèlerins, et la touchante fraternité qui régnait dans le