Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/337

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moindre répugnance. La noblesse arabe est toute patriarcale ; elle ne tient pas à une conquête, elle a sa source dans le sang. Quant au pouvoir suprême, l’Arabe ne l’accorde rigoureusement qu’à Dieu et à ses envoyés. « C’est un curieux spectacle, dit M. d’Escayrac, que celui que présente la tente d’un chef arabe, lorsque quelque affaire s’y traite ; elle est pleine de monde, et ceux qui ne peuvent s’y placer se pressent à la porte. Chacun donne son avis, sans que personne l’interrompe : l’un blâme le chef, l’autre lui reproche d’être incapable ou poltron ; il se justifie ou laisse dire : les femmes mêmes prennent la parole et la gardent volontiers ; l’enfant parle et tous sont attentifs ; le domestique, le mendiant, l’étranger parlent aussi, souvent tous à la fois, sans qu’on les fasse taire. »

Il peut sembler paradoxal de le dire, et rien n’est pourtant plus exact, l’anarchie complète a toujours été l’état politique de la race arabe. Cette race nous donne le spectacle singulier d’une société se soutenant à sa manière sans aucune espèce de gouvernement ni d’idée de souveraineté. Le khalife n’est nullement un souverain, c’est un vice-prophète. Les historiens arabes sont pleins d’anecdotes qui témoignent de la liberté avec laquelle les premiers musulmans blâmaient en face ces représentants de l’autorité prophétique, et résistaient à leurs ordres quand ils ne les approuvaient pas. Les révolutions des premiers siècles de l’hégire, l’extermination de la famille du Prophète et du parti resté fidèle à l’idée primitive de l’islamisme, venaient de l’incapacité absolue de rien fonder et de l’impossibilité où était la race arabe de se développer dans des