Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/339

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embrassé l’islamisme que depuis peu d’années, par suite du mouvement wahhabite. L’Arabie, qui a converti le monde, a été convertie la dernière. « Le Persan, le Criméen, le Turc traversent la moitié de l’Asie, le noir du Sénégal affronte un voyage de deux années, pour adresser à Dieu leurs ferventes prières dans le sanctuaire de l’islamisme ; le Bédouin, qui, chaque année, vient planter ses tentes sous les murs de la ville sainte, ne dépense pas un quart d’heure pour assurer son salut, et meurt à quatre-vingts ans sans avoir accompli le premier devoir du musulman. »

« Je voyageais dans le Soudan avec un secrétaire égyptien, continue M. d’Escayrac ; parfois nous réclamions le soir l’hospitalité du désert, je le priais de chanter, comme les muezzins du Caire, l’appel à la prière : l’étonnement des Arabes nous amusait beaucoup. « Que chante-t-il ? » venaient-ils me demander ; « qu’est-ce que cela veut dire ? — C’est l’appel à la prière, » leur disais-je, « ne l’avez-vous jamais entendu ? — Jamais. — Est-ce que vous ne priez pas ? — Nous ne le pouvons pas : l’eau est rare chez nous et les ablutions en demandent beaucoup. — Ne pouvez-vous donc pas les pratiquer avec le sable ? C’est pour vous que le Prophète a institué le teyemmum[1] ; voulez-vous que je vous le fasse connaître ? — Ce n’est pas la peine ; nous sommes des Arabes, nous ne sommes pas des saints. »

« Parcourant la Syrie, il m’arriva de passer devant un Arabe qui déjeunait de fort bon appétit et m’invita à

  1. Mode d’ablution qui se pratique avec du sable à défaut d’eau.