Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/356

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cette tendance fatale. Une seule exception à la loi d’égalité qui domine la société berbère s’est faite en faveur des marabouts. À l’origine toute religieuse, la caste des marabouts est devenue avec le temps une véritable noblesse de naissance, avec ses préjugés et ses privilèges. Il n’est pas douteux que, si les Kabyles étaient arrivés à la monarchie, les marabouts n’eussent constitué une classe sociale très-vexatoire pour le reste de la communauté ; mais la démocratie met un frein à ces prétentions. Les marabouts savent que les Kabyles se révolteraient contre eux, s’ils blessaient trop ouvertement les habitudes du pays. Ils sont restés ainsi dans un état analogue à celui des moines de la première moitié du moyen âge, avant que l’empire carlovingien en décadence eût conféré aux monastères les droits féodaux.

L’unité de la société kabyle est le village ; l’autorité du village, c’est l’assemblée générale de citoyens ou djémâa. Cette assemblée émet des décisions souveraines et les exécute elle-même. Son autorité s’étend à tout, descend aux détails les plus intimes de la vie privée, et n’est limitée que par la coutume. Tout homme ayant atteint l’âge où il peut observer dans sa rigueur le jeûne du ramadhan fait partie de la djémâa et a voix délibérative. Il est vrai que ce droit, absolu en théorie, se réduit à peu de chose dans la pratique. « Sur le forum kabyle, disent MM. Hanoteau et Letourneux, il y a en réalité plus de comparses que d’acteurs véritables. » Le propre de la race berbère est d’avoir créé la quantité d’inégalités dont une société ne peut se passer, sans classe nobiliaire, sans règlement permanent, uniquement par la force des mœurs et par le consentement tacite des citoyens.