Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/359

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respecté, âgé. Il paraît que la convenance de ces débats parlementaires ne laisse rien à désirer. Tout excès de parole est sévèrement réprimé ou même puni de l’amende. Quand les esprits s’échauffent, les hommes influents s’entendent pour ajourner la discussion. Dans les affaires importantes, l’unanimité est nécessaire. L’opinion de la minorité, quelque faible qu’elle soit, est toujours prise en sérieuse considération. S’il n’est pas possible de se mettre d’accord, la discussion est abandonnée. Dans les cas où une prompte solution est nécessaire, on convoque les notables de la tribu. Ceux-ci, assistés d’un ou deux marabouts renommés par leur sagesse, forment une espèce de tribunal qui prononce sans appel. Parfois on s’en réfère à la djémâa d’un autre village. Souvent on convient de s’en remettre à l’arbitrage d’un homme investi de la confiance générale. Le règlement de presque toutes les affaires en Kabylie se fait ainsi par une suite de transactions où l’opinion publique et l’autorité des notables jouent le rôle principal.

Voilà une démocratie naïve sans doute, et qui n’a jamais pu procurer aux populations qui s’y sont abandonnées des jours bien glorieux ; on voit déjà cependant combien elle diffère du rêve des radicaux européens. La commune kabyle, qui a priori paraît une impossibilité, existe assez fortement ; mais elle existe grâce à l’empire incontesté de la coutume, à une très-puissante organisation de la famille, et à une sélection de personnes désignées par une supériorité quelconque à la considération publique. Une pareille société n’a pas dans son sein de force matérielle qui puisse lui donner une paix durable ; mais elle a dans ses règles sévères, dans ses usages, une