Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/362

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exerce quelquefois sur leurs décisions une fâcheuse influence. »

Il est rare que les sociétés où la souveraineté réside dans l’universalité des citoyens échappent à l’abus de faire servir ainsi le bien de tous à des fins privées. La pauvreté du sol départi à la race berbère a développé outre mesure dans son droit coutumier les dispositions érigeant en obligation l’aide fraternelle. Une foule de traits de la législation kabyle nous montrent le village organisé comme une famille, et à quelques égards comme une communauté. Si, dans l’intervalle de deux marchés, une famille veut tuer une bête pour son usage particulier, elle est tenue d’en informer l’amin. Celui-ci en fait donner avis au village par le crieur public, afin que les malades et les femmes enceintes puissent se procurer de la viande. Le propriétaire de l’animal abattu ne peut se refuser à céder la quantité demandée. Les tribus voisines des passages des montagnes que la neige rend dangereux pendant l’hiver ont soin d’y construire des bâtiments où les voyageurs trouvent, avec un abri, une provision de bois pour se chauffer et faire cuire leurs aliments. Quand les ouragans font craindre des accidents, les hommes des villages les plus rapprochés vont à la recherche des voyageurs égarés, et chaque hiver ils en arrachent plusieurs à la mort.

Dans un pays où il n’y a pas d’hôtelleries, l’hospitalité devient une charge publique, et, chez des populations aussi pauvres que celles dont nous parlons, c’est une charge pénible. Les Kabyles s’en acquittent d’une façon vraiment touchante. Une sorte de réserve est légalement faite sur la fortune publique pour celui qui traverse la