Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/365

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hors mariage est toujours mis à mort, même dans les cas rares où la mère obtient son pardon.

L’honneur est, après le principe d’association mutuelle, la base de la société kabyle[1] ; avec ces deux principes, les Berbères sont arrivés à se passer à peu près de la force. De même que l’assistance mutuelle, le code kabyle rend l’honneur obligatoire et y met une sanction. Telle est la base de l’anaïa, rouage essentiel de cette organisation primitive, et qu’on peut définir un engagement d’honneur d’un protecteur envers son protégé, ayant une valeur légale. On s’étonne au premier coup d’œil que la loi s’occupe d’une relation d’un ordre purement moral et privé entre deux citoyens ; mais dans une pareille société, presque dénuée de force publique, l’anaïa est la garantie suprême. Celui qui l’affaiblit affaiblit la chose publique, lui enlève son principal étai. Supposons toutes nos garanties sociales disparues, les villages, les quartiers formant des ligues pour se défendre ; la parole d’honneur prendrait une valeur officielle, et les ligues seraient amenées à se donner le droit de punir la violation d’un engagement moral. Les garanties publiques étant très-faibles chez les Kabyles, les pactes individuels y suppléent. Celui qui a engagé son anaïa est obligé sous peine d’infamie d’y faire honneur. S’il est dans l’impuissance d’y donner suite, l’anaïa passe à sa famille, à sa tribu, à son village, aux diverses confédérations dont il est membre. La violation de leur anaïa est la plus grave injure qu’on puisse infliger à des Kabyles. Un homme qui, selon l’expression consacrée, brise l’anaïa de son vil-

  1. Voyez le beau passage d’Ibn-Khaldoun sur le caractère de la race berbère, t. I, p. 199-200 de la traduction de M. de Slane.