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LA SOCIÉTÉ BERBÈRE.

surtout en s’appuyant sur l’élément de beaucoup le plus fort et le plus singulier de la constitution kabyle, ce qu’on appelle le çof.

Dans une société où l’autorité organisée d’une façon durable ne dépasse pas l’agglomération communale, où la tribu n’est constituée qu’à demi, où rien n’existe qui ressemble de près ou de loin à l’État, l’individu a éprouvé le besoin de chercher dans d’autres associations une garantie que ne donne pas suffisamment l’anaïa de son village ou de sa tribu. C’est ce qu’on appelle les çof ou « partis » ; mais il faut se garder de donner à ce dernier mot le sens qu’il a chez nous : à quelques égards, on traduirait mieux le mot çof par « coterie » ou « société d’assurance mutuelle ». Comme il n’y a chez les Kabyles rien qui ressemble à des partis politiques, tout le monde étant d’accord pour rester dans la coutume, ni de partis religieux, personne ne songeant à discuter l’islam, ni de partis économiques, le commerce et l’industrie étant à l’état d’enfance, ni de partis sociaux, la différence des classes n’existant pas, les distinctions des çof ont quelque chose de tout matériel. Souvent ils ne se désignent que par le nom du membre le plus connu. Le çof kabyle n’est, à vrai dire, qu’une association en vue de toutes les éventualités de la vie. Il n’a rien de durable. On change de çof sans honte, quand on n’y trouve plus d’abri efficace, ce qui n’empêche pas qu’on n’y dépense beaucoup de passion, et que le çof ne soit une source de guerres à perpétuité.

Ce n’est pas ici le beau côté de la société berbère. Le çof est l’inconvénient inséparable d’une constitution où l’État fait si peu pour l’individu que celui-ci est obligé de