Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/371

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On arrive à cette position par la bravoure, par l’habileté dans l’intrigue, par l’influence de la famille à laquelle on appartient, et aussi par la richesse. Un chef de çof est un personnage fort occupé, et ses dépenses sont très-considérables. Toutes les affaires du pays aboutissent à lui, et c’est avec lui bien plus qu’avec les amin de village et de tribu qu’une politique habile devrait traiter. Beaucoup de chefs de çof font preuve d’une rare souplesse d’esprit et d’une vraie connaissance du cœur humain.

Le çof paraît avoir eu autrefois une importance plus grande encore que de nos jours, et avoir produit de grandes ligues s’étendant d’un bout à l’autre de la Barbarie. C’est là un fait analogue aux factions des blancs et des noirs dans les républiques italiennes, des Kayssi et des Yémani chez les Arabes de Palestine. Partout où l’État central n’a pas été assez fort pour garantir l’entière sécurité des personnes et des intérêts, de pareilles coteries sont inévitables. Il est possible que ces rôles puissants des Masinissa, des Syphax, des Jugurtha, se soient rattachés pour une part à des causes analogues, et qu’il faille envisager ces hommes célèbres comme des chefs de çof attachés tour à tour à la fortune des Romains ou des Carthaginois. Il n’est pas donné à tous les pays d’être des nations ; or partout où un esprit national ne s’empare pas de la société humaine pour l’informer, comme on disait au moyen âge, c’est-à-dire pour lui donner une forme, une âme, un principe vivant, il est inévitable que les factions, les coteries, les groupements les plus artificiels prennent la place de la patrie et remplissent les fonctions que celle-ci ne remplit pas. Le çof ka-