Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/402

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plus synthétique, chargée de flexions exprimant les rapports les plus délicats de la pensée, plus riche même dans son ordre d’idées, bien que cet ordre d’idées fût comparativement plus restreint ; le dialecte moderne, au contraire, correspondant à un progrès d’analyse, plus clair, plus explicite, séparant ce que les anciens assemblaient, brisant les mécanismes de l’ancienne langue pour donner à chaque idée et à chaque relation son expression isolée. Peut-être le mot d’analyse n’est-il pas le plus exact pour exprimer cette marche des langues ; on pourrait même en s’y arrêtant trouver quelques exceptions apparentes à la lui dont il s’agit. Ainsi l’arménien moderne a beaucoup plus de syntaxe et de construction synthétique que l’arménien antique, qui pousse très-loin la dissection de la pensée. De même on ne peut dire que le chinois moderne soit plus analytique que le chinois ancien, puisqu’au contraire les flexions y sont plus riches, et que l’expression des rapports y est plus rigoureuse. Mais ce qui est absolument général, c’est le progrès en détermination, et, par suite, en clarté. Les langues modernes correspondent à un état plus réfléchi de l’intelligence et à une conscience beaucoup plus distincte ; les langues anciennes tiennent encore de la spontanéité primitive, où l’esprit confondait tous les éléments dans une confuse unité et perdait dans le tout la vue analytique des parties[1].

Quel que soit, du reste, le procédé qui préside à la décomposition et à la succession des langues, cette suc-

  1. De là cette loi, en apparence singulière, que les langues des peuples les moins avancés sont précisément les plus compliquées. V. Frédéric Schlegel, Philosophische Vorlesungen insbes. über Phil. der Sprache, 3e leçon, p. GH.