Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/419

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derrière eux ; ils marchaient en avant, sans autre fluide que les éternels principes de la nature humaine. À un certain jour, au contraire, quand les livres se sont assez multipliés pour pouvoir être recueillis et comparés, l’esprit veut avancer avec connaissance de cause, il songe à confronter son œuvre avec celle des siècles passés ; ce jour-là naît la littérature réfléchie, et parallèlement la philologie. Cette apparition ne signale donc pas, comme on l’a dit trop souvent, la mort des littératures ; elle atteste seulement qu’elles ont déjà toute une vie accomplie. Aussi n’est-il aucune culture qui n’ait offert ce phénomène remarquable. La Chine, l’Inde, l’Arabie, la Grèce, Rome, les nations modernes ont connu ce moment où le travail intellectuel de spontané devient savant, et ne procède plus sans consulter ses archives déposées dans les musées et les bibliothèques. Le développement original du peuple hébreu lui-même, qui semble offrir moins de traces qu’aucun autre d’effort réfléchi, présente dans ses derniers siècles des vestiges sensibles de cet esprit de recension, de collection, de rapiécetage, si j’ose le dire, qui termine la série de toutes les littératures.

Il est donc dans les conditions de l’esprit humain de se replier sur lui-même et de cultiver religieusement son passé, lors même qu’il n’espère retirer immédiatement de ce travail aucun résultat philosophique. Dans l’état actuel de la pensée, cette étude est devenue d’un intérêt plus puissant encore, par l’immense importance que l’histoire de l’esprit humain a prise à nos yeux. Cette histoire, en effet, est-elle possible sans l’étude immédiate des monuments, et ces monuments sont-ils abordables sans les recherches spéciales du philologue ? Telle forme du passé