Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/442

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Une seule chose est nécessaire dans l’ordre intellectuel : savoir philosophiquement. C’est la philologie ou l’érudition qui fournira au penseur cette forêt de choses (silva rerum ac sententiarum, comme dit Cicéron), sans laquelle la philosophie ne sera jamais qu’une toile de Pénélope, éternellement à recommencer. Toute exclusion serait ici téméraire : il n’y a pas de recherche qu’on puisse déclarer par avance inutile ; les veines du métal précieux ne se laissent pas deviner ; en creusant de nouvelles mines dans le champ de la science, on ne saurait prédire ce qu’on y trouvera. À combien de résultats inappréciables n’ont pas mené les études en apparence les plus stériles ? N’est-ce pas le progrès de la grammaire qui a perfectionné l’exégèse, et par elle l’intelligence du monde antique ? Les questions les plus capitales de l’exégèse biblique en particulier, lesquelles ne peuvent être indifférentes au philosophe, dépendent d’ordinaire des discussions grammaticales les plus humbles[1]. Nulle part le perfectionnement de la grammaire et de la lexicographie n’a opéré une réforme plus radicale et plus importante. D’où viennent tant de vues nouvelles sur la marche des littératures et de l’esprit humain, sur la poésie spontanée, sur les âges primitifs, sur les races et les familles de langues, si ce n’est de l’étude patiente des plus arides détails ? Vico, Wolf, Niebuhr, Strauss auraient-ils enrichi la pensée de tant d’aperçus nouveaux,

  1. En voici un exemple, qui n’intéressera pas seulement les théologiens. À propos du passage célèbre Regnum meum non est de hoc mundo… nunc autem regnum meum non est hinc (Joann. xviii, 36), plusieurs écoles, dans des intentions très-différentes, ont insisté sur le νῦν δὲ, et, le traduisant par maintenant, en ont tiré diverses conséquences. Cette remarque inexacte n’eût pas été si souvent répétée,