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LES GRAMMAIRIENS GRECS. 431

qui n’ont pas de grammaire, par la raison fort simple que leur langue n’en est pas susceptible, et qui sans cela eussent été, je n’en doute pas, d’excellents grammairiens. Mais les Hébreux, par exemple ? Voilà certes un peuple merveilleusement doué, qui est arrivé de très-bonne heure à la réflexion, qui, six cents ans avant Jésus-Christ, avait une admirable littérature, riche en ouvrages sur toute sorte de sujets ; pourquoi n’a-t-il pas eu de grammaire ? Je le conçois à la rigueur pour la première époque de la littérature hébraïque (la période antérieure à la captivité), durant laquelle on n’aperçoit dans les écrits de ce peuple aucune trace de rhétorique, où la langue a conservé toute sa naïveté, où le divorce entre l’idiome du peuple et celui des lettrés ne se fait pas sentir encore. Mais dans la seconde période (depuis la captivité jusqu’au IIe siècle avant l’ère chrétienne), où la littérature est presque toute tombée entre les mains de lettrés, où les traces de composition artificielle sont manifestes, comme cela se voit, par exemple, dans certains Psaumes, dans l’Ecclésiaste, dans la seconde partie d’Isaïe, à cette époque où les savants écrivent une langue déjà morte et dont le modèle ne se trouve que dans les livres anciens, n’est-il pas étrange que, malgré le soin extrême que mettaient les Hébreux à la conservation de leurs souvenirs nationaux, on ne voie poindre chez eux aucune idée de grammaire ? Et quelques siècles plus tard, quand la fièvre du scrupule et de la subtilité s’empare de ce peuple, qu’il se met à compter les lettres de ses livres sacrés, à les entourer de points, d’accents, d’un luxe de signes qu’aucune autre langue n’a connus, au milieu des puérilités de la Massore,