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434 MÉLANGES D'HISTOIRE.

nissent un éclatant témoignage de cette puissance métaphysique du génie indien, qui devait élever en philosophie un peuple simple d’ailleurs comme l’enfant le plus simple, ignorant comme le dernier des paysans, à des spéculations du même ordre que celles où Fichte et Hegel sont arrivés de nos jours par tous les raffinements de la pensée moderne.

La grammaire des Arabes, c’est le génie arabe lui-même : spirituelle, subtile dans les détails, défectueuse et incomplète dans son ensemble. Ce sont des vues ingénieuses jetées au hasard, des petits faits bien observés ; c’est une analyse du discours fort délicate à sa manière et entièrement différente de celle que nous imaginons ; mais, à côté de ces mérites, absence complète de méthode, nul essai de théorie générale, nulle tendance à chercher la raison historique ou logique des procédés de la langue. En cela, la grammaire arabe nous apparaît comme moins artificielle en un sens, mais aussi moins philosophique que celle des Grecs. Les Arabes ne voient dans la grammaire qu’une série de règles pour l’art de la parole, le seul art à peu près que ce peuple ait connu ; elle est pour eux le culte du langage bien plutôt que la science du langage ; aussi forme-t-elle à leurs yeux un privilège que Dieu a réservé aux descendants d’Ismaël, et que nulle autre race ne saurait posséder.

On ne peut dire que les grammairiens grecs aient beaucoup mieux saisi que les Arabes le véritable esprit de la science grammaticale telle qu’on l’entend de nos jours. L’idée fondamentale de la grammaire indienne, la recherche du radical pur, qui se cache sous l’infinie variété des formes dérivées, leur est restée étrangère. Les