Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/462

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la noblesse de l’esprit. Rome, après lui avoir enlevé son indépendance, n’a pas su peser d’un atome sur sa direction intellectuelle, philosophique, religieuse, ni obtenir d’elle un moment d’attention. À part quelques Grecs sans caractère ralliés à leurs vainqueurs, jamais Hellène vraiment digne de ce nom n’a fait à la littérature latine l’honneur de s’en occuper ; à peu près comme un Français du XVIIIe siècle n’imaginait pas qu’en dehors de la France, on pût avoir de l’esprit, ni qu’il y eût une autre langue que le français acceptable pour un galant homme.

J’aime cet orgueil, je l’avoue, ou, pour mieux, dire, cette assurance d’un peuple qui a conscience de sa supériorité intellectuelle, et n’hésite pas à s’attribuer le droit de régler les choses délicates ; mais, en grammaire, il faut reconnaître que cet esprit exclusif a de fort graves inconvénients. S’agit-il de l’article, par exemple ? Apollonius présente sa théorie de la manière la plus absolue, et suppose hardiment que cette partie du discours est indispensable à tout idiome : or la connaissance la plus simple de la langue latine eût suffi pour lui révéler son erreur. De même en parlant du nombre duel, l’idée ne lui vient pas un moment qu’une langue puisse s’en passer. Cette ignorance est d’autant plus singulière chez Apollonius, que tout semblait l’inviter, comme le fait remarquer M. Egger, à des études comparatives sur les langues diverses qu’il entendait parler autour de lui. « Alexandrie, où il vivait, était le foyer d’une érudition active et variée, le rendez-vous de vingt nations diverses ; l’Égypte entière offrait le spectacle de plusieurs langues également en usage pour tous les besoins du commerce et de la vie. Le grec et les trois formes de l'écri-