Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/464

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

438 MÉLANGES D’HISTOIRE.

finesse et d’extrême élégance, vivant dans un commerce journalier avec les meilleurs écrivains de l’ancienne Grèce, il ne songe guère à se rapprocher par le charme du langage ni de ses contemporains ni des modèles qu’il cite. À le voir manier avec tant d’embarras la langue dont il décrit savamment les ressorts, on se prend à douter de l’efficacité d’un art qui rend si gauche et qui, pour comble de malheur, ne contribue pas à rendre plus sociable. Tout ce qu’on sait, en effet, de la vie d’Apollonius, c’est qu’il était fort maussade. Le surnom de Dyscole en est la preuve et n’est que trop justifié par les traces de mauvaise humeur qui se retrouvent presque à chaque page de ses écrits. Il y insulte ses confrères de la façon la plus outrageante, quand ils se permettent d’avoir pensé autrement que lui sur l’adverbe ou le pronom. « C’est là une niaiserie » ; ou bien : « Il est ridicule de croire » ; ou bien : « Il est superflu d’argumenter plus longtemps contre des puérilités » ; telles sont les formes habituelles de sa polémique.

La grammaire, qui n’a jamais eu le don de rendre aimable, n’avait pas, à ce qu’il paraît, dans l’antiquité plus que de nos jours, le privilège d’enrichir. On rapporte que Apollonius était si pauvre que, ne pouvant acheter ni papyrus ni parchemin, il écrivait ses ouvrages sur des morceaux de poterie. M. Egger, qui ne veut pas admettre la vérité de ce récit, a parfaitement droit de trouver que, pour écrire des livres de grammaire, ce devait être là une matière assez incommode. Mais le savant critique rappelle lui-même fort à propos que nos musées renferment un bon nombre de tessons qui ont suppléé jadis à la rareté du papier. Les soldats de la