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LES GRAMMAIRIENS GRECS. 439


haute Égypte en particulier donnaient souvent l’acquit de leur solde sur des fragments de terre cuite ; on avouera qu’une comptabilité militaire avec de pareils reçus ne devait guère être plus commode à tenir qu’un portefeuille de grammairien. M. Egger ne peut croire non plus que le plus illustre des maîtres de son temps, au centre même et comme au foyer de la philologie alexandrine, ait pu souffrir à ce point de l’indigence. Mais les exemples de pareils dénûments ne sont pas rares. Si l’on faisait une dissertation Sur les hommes savants qui sont morts de faim (la liste en serait assez longue), on trouverait que presque tous ont été des grammairiens ; je ne citerai que Lilius Giraldus et Sébastien Castalion, qui, en pleine renaissance, finirent, dit-on, de cette triste manière. Il n’est donc pas impossible que, même à Alexandrie, un grammairien ait été réduit à écrire ses ouvrages sur des morceaux de pots cassés. La grammaire a toujours été pauvre ; ne lui contestons pas son unique vertu.

Voilà, je crois, le seul point sur lequel il me soit possible d’être en désaccord avec M. Egger. Son excellent mémoire, d’une érudition à la fois spirituelle et sûre, démontre une fois de plus qu’en traitant le sujet le plus austère, on peut toujours intéresser sans jamais chercher à amuser : deux choses si différentes et dont la confusion fait commettre tant de fautes aux personnes dont le goût n’est pas sûr ! Si l’homme sérieux, en effet, ne se résigne jamais à faire le moindre sacrifice pour complaire à la frivolité, d’un autre côté, dès qu’on s’adresse au public, on est tenu de l’intéresser ; or on ne peut manquer d’y réussir quand on possède profondément son sujet, qu’on l’aime, et qu’on sait l’envisager dans ses rapports élevés