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470 MÉLANGES D’HISTOIRE.

cinquante ans dans le champ des études du moyen âge, s’y trouva du premier coup un critique excellent. D’autres plus jeunes, formés par les leçons de l’École des chartes, l’eussent surpassé peut-être comme paléographes pour la publication des textes inédits ; mais personne n’eût si bien rempli l’objet principal de la collection, qui est le jugement des textes eux-mêmes. L’étude du moyen âge, quand elle est exclusive, est dangereuse. Elle entraîne presque toujours en des admirations exagérées. Tantôt on ne voit que les douceurs de la piété chrétienne, on n’entend que les soupirs mystiques des saints et des saintes ; on oublie le code féroce de l’inquisition, ces massacres, ces atrocités de la persécution religieuse qui n’ont jamais été égalées. Le juste et bon saint Louis, la pure et touchante Marguerite de Provence, nous voilent des scènes d’horreur comme les règnes de Dèce et de Dioelétien n’en connurent pas, des entraves sociales d’une insupportable pesanteur. D’autres fois on s’enthousiasme pour les poëmes chevaleresques ; on oublie que la forme de cette poésie fut toujours imparfaite, que l’arrêt d’oubli qui l’a longtemps frappée ne peut être de tout point injuste. Ce qui empêche de mourir, c’est le rayon divin de la beauté, ce quelque chose de gracieux, de serein, de charmant, que la Grèce eut en partage, et que le moyen âge ne connut guère avant Dante et Pétrarque. L’inspiration religieuse au moyen âge fut admirablement grandiose ; mais l’élégance, la largeur de la vie, manquèrent : l’art et la littérature, qui sont le reflet de la vie, ne pouvaient avoir une finesse que la société n’avait pas ; le style et le goût firent défaut presque en toute chose. Les chansons de geste ne