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JOSEPH-VICTOR LE CLERC. 495

lienne elle-même, ces œuvres exquises de Pétrarque, de Boccace, de l’Arioste, sortent directement de notre poésie provençale, de nos chansons de geste ou d’aventures, de nos lais, de nos fabliaux. La mise en œuvre fut d’ordinaire supérieure aux originaux, M. Le Clerc ne le nia jamais, il le montra même admirablement : une des meilleures pages qu’il ait écrites est celle où il explique, par une étude ingénieuse des autographes de Pétrarque, les raisons qui privèrent nos vieux poètes de toute science délicate en fait de style ; mais l’invention, ou plutôt l’art de frapper les sujets, de les rendre populaires, de les faire accepter, ne saurait leur être refusée. Ils ont fourni la matière poétique à l’Europe entière jusqu’à Shakspeare, jusqu’à Cervantes, jusqu’au Tasse ; ils n’ont été réellement détrônés que par le goût du temps de Louis XIV. Toute l’analyse de la littérature italienne du XIVe siècle que lit à ce sujet M. Le Clerc est un chef-d’œuvre. Les rapports de Pétrarque et de Boccace avec la France, et en particulier avec Paris, la façon dont ces habiles écrivains bénéficièrent d’un passé littéraire glorieux que la France ne soutenait plus, sont exposés dans la perfection.

M. Le Clerc ne porta-t-il pas cependant quelque exagération en sa thèse ? N’accorda-t-il pas à la France des dons de création qui ne lui appartiennent pas au même degré en tous les genres ? Ne tomba-t-il pas quelquefois dans un défaut trop habituel à ceux qui écrivent l’histoire littéraire, l’amour-propre national ? Fit-il assez grande la part de la Provence, alors bien peu française ? Mit-il assez haut les dons du génie, qui change en or tout ce qu’il touche ? Ne prit-il pas quelque fois à l’égard des littéra-