Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/522

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tures, étrangères, en particulier de la littérature italienne, un ton de rivalité dont la vraie critique doit être exempte ? Cela peut être. Et d’abord, il ne vit pas que nos grandes épopées du moyen âge étaient à quelques égards germaniques de génie, que jamais la Gaule pure ni la Gaule transformée par Rome n’eussent produit de tels chants ; il n’essaya pas d’analyser le composé ternaire qu’on appelle « France », pour voir duquel de ses trois composants sortaient ces œuvres admirables. — Sans doute, toute production du moyen âge, art gothique, scolastique, chanson de geste, naît en France ; mais qu’était cette France où naissaient de si beaux fruits ? Un pays dominé par la grande féodalité germanique. Le don particulier du sol français est justement que toutes les plantes, même exotiques, y prospèrent mieux que dans leur sol natal. Quand est-ce que commence vraiment la littérature propre de notre pays ? Quand l’esprit gaulois prend-il le dessus sur la lourde couche germanique qui l’écrasait et le rendait grave malgré lui ? Entendue de la sorte, la littérature française commence avec la première chanson narquoise, avec le premier fabliau grivois. Alors la chanson de geste devient un genre ennuyeux ; elle se sauve quelque temps par l’ironie : on continue de chanter Charlemagne, mais pour violer sa majesté, pour la tourner en dérision ; puis on passe à des genres de littérature mieux appropriés au vrai goût national. M. Le Clerc ne reconnut peut-être point suffisamment l’étendue de ce que nos poètes empruntèrent. L’originalité bretonne des romans du cycle d’Arthur ne se montra jamais à lui ; il ne vit pas que, avec ces nouveaux sujets, un genre nouveau d’imagination et de sentiment s’introduit dans notre litté-