Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/99

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quelques années. Ce qui le prouve, c’est que les gens du pays qui vivaient en servant la sotte curiosité des voyageurs se sont rabattus sur la fabrication des fausses antiquités. Nous avons vu un de ces établissements, et nous étions tentés de l’encourager. Ces objets apocryphes en effet, suffisants pour satisfaire le touriste, ne sont pas de nature à induire en erreur la science sérieuse. La vente des morceaux authentiques s’est presque arrêtée ; mais, hélas ! je vois poindre pour cette antiquité, venue jusqu’à nous par miracle, des dangers mille fois plus terribles. Les prodigieux monuments de la haute Égypte disparaîtront à leur tour, et peut-être le jour de leur destruction n’est pas bien éloigné.

Ce qui en effet a valu à la haute Égypte une situation privilégiée pour la conservation des monuments de l’antiquité, c’est l’état de mort et d’isolement où elle fut placée depuis son adjonction aux grands empires romain, byzantin, musulman, turc. Cette longue bande verte, parfois de quelques mètres de largeur, s’étendant au bord du Nil, jouit, grâce à la protection des grands empires, d’une paix absolue. Toute la vie se concentra dans la basse Égypte. Alexandrie dévora Saïs ; les immenses constructions du Caire furent fatales à Memphis, à Héliopolis ; au delà, tout mouvement disparut. Les croisades, qui firent en Syrie une si grande destruction des monuments anciens, ne pénétrèrent pas en Égypte ; on n’y bâtit pas de ces forteresses colossales qui ont été le tombeau de l’antiquité ; il ne s’y éleva pas de grandes villes. Or on ne déplace et on ne débite de grands matériaux antiques que pour s’en servir. Les révolutions, les guerres, les sièges, l’action du climat, auxquels on a coutume d’at-