Page:Renan - Nouvelles lettres intimes 1846-1850, Calmann Levy, 1923.djvu/153

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Collège de France, où l’admirable M. Burnouf continuait encore ses cours, au milieu des cris, des attroupements et des barricades. Notre quartier (j’entends la rue Saint-Jacques et la rue d’Enfer) a été fort agité, et servait de passage aux bandes armées qui se précipitaient vers le centre de la capitale. Mais on ne s’y est point battu : quelques coups de fusil ont seulement été tirés au Val-de-Grâce et au Panthéon. Paris est maintenant fort bruyant, mais la sûreté y est parfaite. La garde nationale nous sauve. Quant à l’avenir, les plus prévoyants n’osent en rien dire. En toute hypothèse, sois tranquille, chère amie. Tu connais mon caractère : quand il s’agit de lutter contre une force brute, je suis d’une prudence qui approche de la timidité. Je réserve ma force d’âme pour d’autres combats. Chacun ne cherche à lutter que par le côté où il se sont fort. Dans le cas où des levées extraordinaires auraient lieu on France, tu seras peut-être bien aise de savoir qu’un prix de l’Institut est expressément mentionné parmi les motifs d’exemption de la conscription. Ces réflexions ne sont pas lâcheté, tu le comprends ; je vaux très peu par mon bras ; mille autres me surpassent sous ce rapport ; il est clair que je dois préférer servir mon pays par les dons qui me sont spéciaux.

Je suis loin d’être aussi rassuré sur ton compte, chère Henriette, que tu dois l’être sur le mien. Dans quelques mois peut-être, des armées rivales