Page:Renan - Nouvelles lettres intimes 1846-1850, Calmann Levy, 1923.djvu/193

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une telle peine sans une nécessité absolue. Je te promets bien que je ne retomberai plus dans la même faute ; elle m’a coûté un trop grand surcroît de tristesse pour que je l’oublie.

Tu ne me parles point du concours de l’Institut, mon bon Ernest ; c’est sans doute parce que tu n’avais encore reçu aucune réponse. Hélas ! tout ce qui touche à la science est désormais dans l’ombre ! Comment en effet se préoccuper d’abord de la culture de l’intelligence, quand il faut chaque jour tout défendre contre des attaques forcenées ? — La journée du 15 mai m’a de nouveau plongée, très cher ami, dans un état de terreur et d’angoisse que je ne saurais jamais t’exprimer. À quoi tient donc la dernière ombre de sûreté qu’il y ait dans notre malheureuse patrie ? À quelles épreuves est-elle réservée ? Ma vie est tissue d’épouvante… à peine même si les lettres peuvent me rassurer. Il vivait, me dis-je, au moment où il traçait ces lignes, mais maintenant ?… Qui sait si Paris n’est pas au pouvoir des destructeurs ? si la flamme et le fer n’en ont pas fait un immense tombeau ? — Et c’est le Paris que je parcourais si paisiblement avec toi il y a deux années, où je suis réduite à entrevoir de telles scènes ! Pauvre, pauvre France ! — ne crois pas, mon ami, que mes cheveux blanchissants soient les principaux inspirateurs de la cruelle tristesse que j’éprouve et dont je laisse échapper quelque partie dans notre correspondance. Non, très cher Ernest, non  ; ce n’est pas