Page:Renan - Nouvelles lettres intimes 1846-1850, Calmann Levy, 1923.djvu/197

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je te remercie, mon Ernest, de m’avoir donné des nouvelles de notre frère ; il est dans ces jours agités l’objet de mes plus pénibles sollicitudes. J’ai reçu sa lettre du mois de mai ; j’y ai vu que pour le moment sa situation n’est pas trop mauvaise ; mais comme le mal est loin d’être à terme, il est toujours bien à craindre qu’il ne recueille la ruine pour prix de ses courageux travaux. Et l’infortuné a des enfants auxquels il avait eu la juste espérance de laisser un avenir souriant et prospère.

Quant au tien, mon bon Ernest, qui m’apparaissait aussi sous de rassurantes couleurs, il faut nécessairement se résigner à attendre. Aux bibliothèques il n’y a plus à penser : je voyais dernièrement dans les journaux, que pour trois ou quatre places vacantes, il y avait je ne sais combien de centaines de candidats. Garde-toi, mon ami, de faire figurer ton nom sur ces listes ; encore une fois, il s’agit de la dignité de ton avenir, de ta vie tout entière. On a crié à toutes forces (peut-être même justement) contre la corruption du régime déchu ; et la curée recommence comme de plus belle : il n’y a que les noms de changés. S’il ne s’agissait, pas de la France, je trouverais ce spectacle parfois amusant. Tous les jours, c’est le frère, la sœur, le cousin d’un gouvernant qu’on voit arriver à quelque poste bien lucratif. Sur un autre air, c’est toujours le même refrain… Attends, mon pauvre ami, attends ; c’est triste, mais pour nous